Augustin 27
Commentaires
Pierre Bayle(1647-1706), philosophe protestant
« L'engagement où est l'église romaine de respecter le système de saint Augustin la jette dans un embarras qui tient beaucoup du ridicule. Il est si manifeste à tout homme qui examine les choses sans préjugé et avec les lumières nécessaires, que la doctrine de saint Augustin et celle de Jansénius, évêque d'Ypres, sont une seule et même doctrine, qu'on ne peut voir sans indignation que la cour de Rome se soit vantée d'avoir condamnée Jansénius, et d'avoir néanmoins conservé à saint Augustin toute sa gloire. Ce sont deux choses tout-à-fait incompatibles. Bien plus, le concile de Trente, en condamnant la doctrine de Calvin sur le franc arbitre, a nécessairement condamné celle de saint Augustin, car il n'y a point de calviniste qui ait nié, ou qui ait pu nier le concours de la volonté humaine et la liberté de notre âme au sens que saint Augustin a donné aux mots de concours et de coopération et de liberté. Il n'y a point de calviniste qui ne reconnaisse le franc arbitre, et son usage dans la conversion, si l'on entend ce mot selon les idées de saint Augustin. Ceux que le concile de Trente a condamnés ne rejettent le franc arbitre qu'en tant qu'il signifie la liberté d'indifférence. Les thomistes le rejettent aussi sous cette notion, et ne laissent pas de passer pour très-catholiques. Voici une autre scène de comédie. La prédétermination physique des thomistes, la nécessité de saint Augustin, celle des jansénistes, et les uns et les autres prétendent qu'on les calomnie, quand on les accuse d'enseigner la même doctrine que Calvin. S'il était permis à l'homme de juger des pensées de son prochain, on serait fort tenté de dire que les docteurs sont ici de grands comédiens, et qu'ils n'ignorent pas que le concile de Trente n'a condamné qu'une chimère, qui n'était jamais montée dans l'esprit des calvinistes, ou qu'il a condamné saint Augustin et la prédétermination physique; de sorte que, quand on se vante d'avoir la foi de saint Augustin et de n'avoir jamais varié dans la doctrine, on ne le fait que pour garder le decorum, et pour éviter la dissipation du système qu'un aveu de la vérité produit nécessairement. Il y a des gens pour qui c'est un grand bonheur que le peuple ne se soucie point de se faire rendre compte sur la doctrine, et qu'il n'en soit même pas capable. Il se mutinerait plus souvent contre les docteurs, que contre les maltotiers. "Si vous ne connaissez pas, leur dirait-on, que vous nous trompez, votre stupidité mérite qu'on vous envoie labourer la terre; et, si vous le connaissez, votre méchanceté mérite qu'on vous mette entre quatre murailles, au pain et à l'eau. Mais on n'a rien à craindre : les peuples ne demandent qu'à être menés selon le train accoutumé; et, s'ils en demandaient davantage, ils ne seraient pas capable d'entrer en discussion : leurs affaires ne leur ont pas permis d'acquérir une si grande capacité. » Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, (1698), article « Augustin »